Nouvelles règles en matière d’abus de situation de dépendance et de clauses abusives dans les relations B2B .

par | Mai 6, 2021 | Droit commercial et protection des consommateurs

La loi du 4 avril 2019 modifiant le Code de droit économique en ce qui concerne les abus de dépendance économique, les clauses abusives et les pratiques du marché déloyales entre entreprises publiée au Moniteur belge ce 24 mai 2019.

Cette loi a pour objectif de protéger les entreprises contre les clauses contractuelles abusives auxquelles elles ne peuvent pas s’opposer efficacement, par exemple compte tenu d’une situation de dépendance économique.

1. L’abus de dépendance économique.

La nouvelle règlementation introduit en droit belge la notion de « dépendance économique » qui peut se rencontrer, par exemple, dans la relation entre un fournisseur et un retailer.

Une entreprise se retrouve dans une situation de dépendance économique par rapport à une autre lorsque elle ne dispose pas d’alternative raisonnablement équivalente et disponible dans un délai, à des conditions et à des coûts raisonnables,ce qui permet à l’autre partie de lui imposer des prestations ou des conditions qui ne pourraient être obtenues dans des circonstances normales de marché.

La situation de dépendance économique n’est pas en elle-meme interdite en tant que telle , ce qui est sanctionné, c’est l’abus d’une telle situation de dépendance, dès lors que la concurrence est susceptible d’être affectée sur le marché belge concerné ou une partie substantielle de celui-ci.

La loi fournit plusieurs exemples de pratiques pouvant être considérées comme des abus de dépendance économique :

  • le refus d’une vente, d’un achat ou d’autres conditions de transaction ;
  • l’imposition (de façon directe ou indirecte) des prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction inéquitables ;
  • la limitation de la production, des débouchés ou du développement technique au préjudice des consommateurs ;
  • le fait d’appliquer à l’égard des partenaires économiques des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ;
  • le fait de subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires économiques, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats.

L’Autorité de la concurrence est compétente pour contrôler le respect de ces nouvelles règles. Elle peut infliger des amendes allant jusqu’à 2% du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée, ainsi que des astreintes en cas de non-respect de sa décision. Une partie confrontée à un abus de dépendance économique peut également engager une action en cessation devant les tribunaux belges afin de faire cesser ces pratiques.

Les nouvelles règles contre l’abus de dépendance économique sont insérées dans le livre IV du Code de droit économique sont entrées en vigueur au mois de mai 2020.

2. L’interdiction des pratiques trompeuses et agressives entre les entreprises.

La nouvelle règlementation interdit les pratiques commerciales « trompeuses » et « agressives » entre les entreprises.

La définition des pratiques du marché trompeuses et agressives s’inspire des dispositions existantes interdisant les pratiques trompeuses et agressives dans les relations B2C.

Une pratique commerciale sera considérée comme agressive au sens de la loi si « dans son contexte factuel, compte tenu de toutes ses caractéristiques et des circonstances, elle altère ou est susceptible d’altérer de manière significative, du fait du harcèlement, de la contrainte, y compris le recours à la force physique, ou d’une influence injustifiée, liberté de choix ou de conduite de l’entreprise à l’égard du produit et, par conséquent, l’amène ou est susceptible de l’amener à prendre une décision relative à la transaction qu’elle n’aurait pas prise autrement ».

Il faut entendre par « influence injustifiée » l’utilisation par une entreprise d’une position de force vis-à-vis d’une autre entreprise de manière à faire pression sur celle-ci, même sans avoir recours à la force physique ou menacer de le faire, de telle manière que son aptitude à prendre une décision en connaissance de cause soit limitée de manière significative.

3. L’interdiction des clauses abusives (B2B)

L’interdiction des clauses abusives est connue depuis de longues années dans les contrats conclus entre un consommateur et un professionnel. Le législateur a bien dû constater que, même dans les relations entre les entreprises, les rapports économiques ne sont pas toujours équilibrés. Dès lors, la liberté contractuelle ne peut pas systématiquement jouer pleinement. Des entreprises se voient ainsi parfois imposer des clauses qu’elles n’auraient jamais acceptées si elles avaient pu négocier librement.

La nouvelle loi s’applique aux entreprises belges qui exportent, y compris lorsque le contrat est soumis à un droit étranger. Les travaux parlementaires indiquent en effet que les nouvelles règles visent à réguler l’ordre économique et qu’à ce titre, elles rentrent dans la catégorie des lois de police (auxquelles il n’est pas possible de déroger contractuellement). Il ne suffira donc pas de conclure un contrat soumis au droit allemand ou au droit néerlandais pour échapper à l’interdiction des clauses abusives.

Pour ce qui concerne les clauses abusives dans les relations B2B, le législateur a introduit trois catégories. Celles-ci se rapportent non seulement aux conditions générales, mais aussi aux conditions mêmes du contrat.

D’une part, le législateur a introduit une liste noire de quatre clauses qui sont, dans tous les cas, interdites. Il s’agit de clauses qui ont pour objet de :

  • prévoir un engagement irrévocable de l’autre partie, alors que l’exécution des prestations de l’entreprise est soumise à une condition dont la réalisation dépend de sa seule volonté;
  • conférer à l’entreprise le droit unilatéral d’interpréter une quelconque clause du contrat;
  • en cas de conflit, faire renoncer l’autre partie à tout moyen de recours contre l’entreprise;
  • constater de manière irréfragable la connaissance ou l’adhésion de l’autre partie à des clauses dont elle n’a pas eu, effectivement, l’occasion de prendre connaissance avant la conclusion du contrat.

En outre, le législateur a prévu une liste grise de huit clauses qui sont présumées abusives sauf preuve contraire. Il s’agit plus précisément des clauses qui ont pour objet de :

  • autoriser l’entreprise à modifier unilatéralement sans raison valable le prix, les caractéristiques ou les conditions du contrat ;
  • proroger ou renouveler tacitement un contrat à durée déterminée sans spécification d’un délai raisonnable de résiliation ;
  • placer, sans contrepartie, le risque économique sur une partie alors que celui-ci incombe normalement à l’autre entreprise ou à une autre partie au contrat ;
  • exclure ou limiter de façon inappropriée les droits légaux d’une partie, en cas de non-exécution totale ou partielle ou d’exécution défectueuse par l’autre entreprise d’une de ses obligations contractuelles ;
    sans préjudice de l’article 1184 du Code civil, engager les parties sans spécification d’un délai raisonnable de résiliation ;
  • libérer l’entreprise de sa responsabilité du fait de son dol, de sa faute grave ou de celle de ses préposés ou, sauf en cas de force majeure, du fait de toute inexécution des engagements essentiels qui font l’objet du contrat ;
    limiter les moyens de preuve que l’autre partie peut utiliser ;
  • fixer des montants de dommages et intérêts réclamés en cas d’inexécution ou de retard dans l’exécution des obligations de l’autre partie qui dépassent manifestement l’étendue du préjudice susceptible d’être subi par l’entreprise.

Il est important de souligner que ces clauses contiennent un renversement de la charge de la preuve et qu’une justification est dès lors possible pour cette liste grise.

Par ailleurs, la question du caractère abusif sera tributaire de toutes les circonstances concrètes, en ce compris les usages dans le secteur, la position de marché, les circonstances entourant la conclusion du contrat, la mesure dans laquelle les clauses sont négociées, etc.

Le législateur insère, enfin, une troisième catégorie générale : « toute clause d’un contrat conclu entre entreprises est abusive lorsque, à elle seule ou combinée avec une ou plusieurs autres clauses, elle crée un déséquilibre manifeste entre les droits et obligations des parties ».

Les violations de ces trois types de clauses abusives ne dépendent pas de la question de savoir si l’on se trouve dans une situation de dépendance économique et peuvent seulement être invoquées au moyen des voies juridiques habituelles et non pas devant les autorités belges de la concurrence (sauf au cas où les clauses devraient en soi, constituer un abus de position dominante ou un abus de position de dépendance économique).

Conclusion

En ce qui concerne les clauses abusives B2B, les nouvelles interdictions s’appliquent uniquement aux contrats conclus, renouvelés, ou modifiés après le 31 décembre 2020. Elles ne s’appliquent pas aux contrats en cours qui auront été conclus avant cette date.

Il est vivement conseillé aux entreprises (qui ne l’ont pas encore fait) de revoir tous leurs modèles de contrats ou CGV à l’aune de ces nouvelles règles.

Vous avez questions relatives à ce sujet, n’hésitez pas à me contacter en m’envoyant un courriel.

Source : Loi du 4 avril 2019 modifiant le Code de droit économique en ce qui concerne les abus de dépendance économique, les clauses abusives et les pratiques du marché déloyales entre entreprises, M.B., 24 mai 2019, P. 50066.