La CJUE consacre le principe de la neutralité d’internet.

par | Juin 12, 2021 | Cybersécurité et accès à internet

Dans un arrêt du 15 septembre 2020 (C‑807/18 et C-39/19 Telenor Magyarország Zrt. c Nemzeti Média- és Hírközlési Hatóság Elnöke,) la Cour de justice de l’Union Européenne interprète pour la première fois le principe de la neutralité de l’internet consacré dans le règlement européen (UE) 2015/2120 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2015, établissant des mesures relatives à l’accès à un internet ouvert qui établit des règles communes destinées à garantir le traitement égal et non discriminatoire du trafic dans le cadre de la fourniture de services d’accès à l’internet et les droits connexes des utilisateurs finals.

Le principe

Le principe de la “neutralité du net” est d’obliger les fournisseurs d’accès à Internet à traiter les contenus de manière égalitaire.

Ainsi, les fournisseurs d’accès (Proximus, Telenet,…) ne peuvent faire de distinction de traitement face aux différents services en ligne. Les “tuyaux” par lesquels passent les flux de données sont les mêmes pour tous et aucun n’est considéré comme prioritaire.

Grâce à cette neutralité consacrée en droit européen dans le règlement européen 2015/2122, un fournisseur ne peut pas moduler la vitesse de débit internet à sa guise. Il ne peut pas signer des contrat avec un éditeur de contenu – comme Youtube ou Netflix – pour obtenir un accès prioritaire en cas de congestion de réseau. 

Les faits dans la décision du 15/09/2020 de la CJUE.

La société Telenor, établie en Hongrie, fournit notamment des services d’accès à Internet.

Parmi les services proposés à ses clients figurent deux offres groupées d’accès préférentiel (dites à « tarif nul ») ayant pour particularité que le trafic de données généré par certains services et applications spécifiques n’est pas décompté dans la consommation du volume de données acheté par les clients.

En outre, ces clients bénéficiant d’un accès préférentiel peuvent, une fois avoir épuisé ce volume de données, continuer à utiliser sans restrictions ces applications et ces services spécifiques, pendant que des mesures de blocage ou de ralentissement du trafic sont appliquées aux autres applications et services disponibles.

Après avoir ouvert deux procédures visant à contrôler la conformité de ces deux offres groupées avec le règlement 2015/2120 établissant des mesures relatives à l’accès à un Internet ouvert, l’autorité hongroise des communications et des médias a adopté deux décisions par lesquelles elle a considéré que celles-ci ne respectaient pas l’obligation générale de traitement égal et non discriminatoire du trafic énoncée à l’article 3, paragraphe 3, de ce règlement et que Telenor devait y mettre fin.

Saisie de deux recours par cette dernière, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie) a décidé d’interroger la Cour à titre préjudiciel afin de savoir comment doit être interprété et appliqué l’article 3, paragraphes 1 et 2, du règlement 2015/2120, qui garantit un certain nombre de droits (dont celui d’accéder aux applications, aux contenus et aux services ainsi que de les utiliser, mais également droit de fournir des applications, des contenus et des services ainsi que d’utiliser les terminaux de leur choix) aux utilisateurs finals de services d’accès à Internet et qui interdit aux fournisseurs de tels services de mettre en place des accords ou des pratiques commerciales limitant l’exercice de ces droits, ainsi que l’article 3, paragraphe 3, qui énonce une obligation générale de traitement égal et non discriminatoire du trafic.

L’interprétation de la Cour

Dans son arrêt du 15 septembre 2020, la Cour, statuant en grande chambre, a interprété pour la première fois le règlement 2015/2120, qui consacre le principe essentiel d’ouverture d’Internet (plus familièrement dénommé « neutralité du Net »).

S’agissant, en premier lieu, de l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du règlement 2015/2120, lu conjointement avec l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement, la Cour observe que les droits des utilisateurs finaux de services d’accès à Internet ont vocation à être exercés « par l’intermédiaire de leur service d’accès à Internet », et que la première disposition exige qu’un tel service n’implique pas de limitation de l’exercice de ces droits.

Par ailleurs, il découle de l’article 3, paragraphe 2, dudit règlement que les services d’un fournisseur d’accès à Internet donné doivent être évalués au regard de cette exigence, par les autorités réglementaires nationales et sous le contrôle des juridictions nationales compétentes, en prenant en considération tant les accords conclus par ce fournisseur avec les utilisateurs finals que les pratiques commerciales mises en œuvre par ledit fournisseur.

Dans ce contexte, la Cour a estimé que la conclusion d’accords par lesquels des clients donnés souscrivent à des offres groupées combinant un « tarif nul » et des mesures de blocage ou de ralentissement du trafic lié à l’utilisation de services et d’applications autres que les services et applications spécifiques relevant de ce « tarif nul » est susceptible de limiter l’exercice des droits des utilisateurs finals, au sens de l’article 3, paragraphe 2, de ce règlement, sur une partie significative du marché.

Selon la Cour, de telles offres groupées sont de nature à amplifier l’utilisation des applications et des services privilégiés et, corrélativement, à raréfier l’utilisation des autres applications et des autres services disponibles, compte tenu des mesures par lesquelles le fournisseur de services d’accès à Internet rend cette dernière utilisation techniquement plus difficile, voire impossible. 

En second lieu, s’agissant de l’interprétation de l’article 3, paragraphe 3, du règlement 2015/2120, la Cour a relevé que, pour constater une incompatibilité avec cette disposition, aucune évaluation de l’incidence de mesures de blocage ou de ralentissement du trafic sur l’exercice des droits des utilisateurs finals n’est requise.

La Cour a jugé que, dès lors que des mesures de ralentissement ou de blocage du trafic sont fondées non pas sur des différences objectives entre les exigences techniques en matière de qualité de service de certaines catégories spécifiques de trafic, mais sur des considérations d’ordre commercial, ces mesures sont à considérer, en tant que telles, comme étant incompatibles avec ladite disposition.

Conclusion

Dans sa réponse aux questions préjudicielles, la CJUE marque un schisme avec le parti pris (récent) des Etats-Unis.

La Commission fédérale des communications (FCC) dans sa décision du 17 décembre 2017 entrée  avait décidé d’abolir l’application du principe de neutralité du net alors que la CJUE indique que la volonté européenne est de donner une force effective à ce principe.

 

Sources : https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2020-09/cp200106fr.pdf